Nous ne nous sommes pas réveillés en trouvant un nouvel Israël au lendemain de la troisième élection de l’année écoulée. Chaque citoyen palestinien d’Israël connaît le fondement moral sur lequel Israël a été créé. Nous connaissons tous le lourd tribut que les Palestiniens ont payé pour les crimes historiques perpétrés par d’autres contre les Juifs.
Depuis sa création, Israël n’a cessé de faire du mal à ses citoyens palestiniens. Il les a opprimés, il les a dépossédés de leur pays et de leurs droits, il a cherché à effacer leur identité et il a adopté des lois racistes contre eux.
La société arabe vit un processus de réconciliation entre son identité palestinienne et sa citoyenneté israélienne. Et plus ce processus avance, plus les attaques de la part de l’ordre établi israélien s’intensifient.
A chaque fois qu’il semble que nous atteignons un nouveau palier, le gouvernement d’extrême-droite israélien nous fait la surprise de nouvelles provocations et de discriminations, sans oublier un processus d’effacement qui entraîne une normalisation du racisme au sien de la population juive d’Israël.
Les résultats des élections législatives, dans lesquelles le bloc de droite de Nétanyahou termine avec 58 sièges à la Knesset, ne font que refléter à quel point le racisme s’est répandu dans la société juive israélienne. C’est une nouvelle étape vers l’annulation de tout ce qui reste ici de démocratie.
Mais de dessous les décombres laissés derrière lui par le mouvement sioniste s’est levé un nouveau peuple palestinien. Les victimes du colonialisme sioniste, représentées par les quatre listes arabes, et avec l’aide de quelques partenaires juifs, ont formé la Liste Unifiée.
Le dernier scrutin n’a fait que révéler à quel point la haine est ancrée dans la société israélienne. Tout le monde est contre tout le monde. Les insultes raciales, l’élitisme ashkénaze et le refus de légitimité de divers groupes minoritaires font de la Liste Unifiée le dernier bastion de lutte pour les droits démocratiques fondamentaux.
Pour ses partisans, les obstacles à surmonter semblaient trop importants devant le tsunami fasciste qui nous engloutissait. Mais la Liste Unifiée, qui se trouvait elle-même dans la ligne de mire du consensus sioniste, n’avait en réalité pas beaucoup le choix de continuer à avancer sans se laisser décourager. Des milliers d’électeurs ont afflué pour voter pour la Liste d’Ayman Odeh dans les dernières heures du scrutin.
Les résultats de l’élection nous rappellent que la Liste Unifiée ne sauvera pas Israël de lui-même et de sa maladie. Mais sauver et renforcer la société palestinienne — et ce qui reste de la gauche israélienne — est un but important et, de loin, plus réalisable que faire tomber le gouvernement de droite.
Hormis l’annulation de l’« accord du siècle » de Trump, ceci a probablement été la promesse de campagne la plus ambitieuse faite par le leader de la Liste Unifiée, Ayman Odeh. En attendant, la Liste n’a que temporairement réussi à empêcher Nétanyahou de crier victoire. La lutte pour un changement réel va être longue et difficile.
Lutter ensemble
Malgré les gains réalisés par le bloc de droite, nous méritons tout à fait de célébrer les petits succès dont voici une liste non exhaustive :
1. Nous ne pouvons ignorer le fait que 90 % de la population palestinienne d’Israël a soutenu la Liste Unifiée. Un nombre important de citoyens palestiniens qui auparavant votaient pour les partis juifs-sionistes ont voté cette fois-ci pour la Liste. Le soutien à la Liste dans les villages druzes — historiquement alliés des partis sionistes — a doublé aux dépens du Likoud et de Yisrael Beitenu.
Les maires arabes ont aussi exprimé leur total soutien, tandis que les appels à boycotter les élections israéliennes ont été assez discrets cette fois-ci.
2. La Liste unifiée aura cette fois quatre représentantes à la Knesset — un résultat qui ne doit pas et ne peut pas être écarté d’un geste. Chacune de ces femmes représente un secteur différent de la société palestinienne.
3. Le soutien de nos partenaire juifs a augmenté, soit en raison de l’effondrement de la gauche sioniste, ou du renforcement de la Ligne Unifiée elle-même, ou en raison des provocations de la droite.
J’espère que la poussée dans l’électorat juif en faveur de la Liste est la première étape vers la formation d’un parti arabe-juif non-sioniste fort, radical et de gauche. Je ne veux pas que les Juifs soutiennent simplement la lutte de la minorité arabe en Israël. Je veux autant de partenaires dans autant de luttes qu’affrontent les opprimés dans ce pays. Je ne veux pas que nous soyons solidaires — je veux que nous luttions ensemble.
4. Nous avons tendance à parler du fait que la Liste Unifiée est composée de quatre partis. En fait, la liste a cinq composantes. Le cinquième parti est formé de gens comme moi, qui n’appartiennent pas à un parti. Nous n’avons pas d’ordre du jour en dehors du soutien des idées nationales-libérales démocratiques et nous sommes nombreux.
Je n’ai aucun doute sur le fait que les quatre partis n’ont aucune chance de survivre sans la Liste Unifiée ou sans le large soutien des Palestiniens qui n’appartiennent pas à un parti politique. Ce sont les mêmes personnes qui ont soutenu la Liste sur Internet, dans des tribunes libres, sur des vidéos, dans des chansons et dans des rassemblements. Derrière eux il y a des écrivains, des personnalités influentes, des dirigeants d’organisations de la société civile, des intellectuels, des économistes, des scientifiques, des artistes, des journalistes, etc. Ce cinquième parti a assez de place pour tout le monde.
5. Ce pourrait être la première fois que l’opinion publique juive dominante ne peut pas reprocher à la population palestinienne de ne pas « faire sa part » en restant à la maison le jour des élections et d’ « assurer » ainsi une victoire à la droite. Les attaques continuelles à l’encontre des hommes politiques palestiniens ont imprégné à la fois la conscience israélienne et la communauté palestinienne. Il y a eu des années au cours desquelles la critique des dirigeants palestiniens était particulièrement meurtrière et où beaucoup des commentateurs sionistes affirmaient qu’il y avait un fossé entre la population palestinienne et les personnes élues pour la représenter. Nous avons maintenant déboulonné officiellement cette affirmation.
La ligne de démarcation entre les « Arabes israéliens » (ainsi que nous sommes désignés dans le langage israélien) et nos soi-disant « députés nationalistes » a été estompée. La Liste Unifiée est maintenant le seul représentant légitime de 1,5 million de citoyens palestiniens d’Israël. Elle a reçu un mandat du peuple, et la société israélienne et sa direction - de la droite à l’extrême-droite - doit assimiler ce fait et agir en fonction de celui-ci.
6. Dans ces élections, l’amour a vaincu la haine. Ayman Odeh et le reste de la liste ont mené une campagne positive, en affrontant tout le mal et toutes les provocations de la droite, conduite d’abord et avant tout par Nétanyahou, et en valorisant une alternative politique fondée sur l’espoir. Ca a marché. Nous avons été témoins de la façon dont ces messages positifs emportent l’opinion publique palestinienne qui a donné l’impression que nous avions le pouvoir d’apporter des changements.
Ayman Odeh a démontré les vertus et les qualités d’un véritable dirigeant qui ont tant fait défaut à la fausse opposition de Benny Gantz, qui espérait battre Nétanyahou en formant une coalition fondée sur une « majorité juive ». A celle du président du Parti Travailliste Amir Peretz et au chef du Meretz, Nitzan Horowitz, qui ont quitté le navire de la gauche sioniste en train de couler après avoir jeté à la mer leurs amis arabes.
7. Nous devons pousser un soupir de soulagement de ne pas avoir à recommander Benny Gantz au poste de Premier ministre. Après sa campagne, pendant laquelle il a rejeté un partenariat avec la Liste Unifiée, les hommes politiques palestiniens n’auront pas à décider de le recommander ou non — une décision qui l’année dernière a presque détruit l’unité de notre groupe. Cette fois-ci, nous en avons tiré la leçon.
Samah Salaime* Fondatrice de l’ONG AWC (Arab Women in the Center), elle est née il y a 40 ans dans une famille de réfugiés de Sajara, dans le nord d’Israël et la plupart des membres de ma famille proche vivent dans des camps de réfugiés.
Traduit de l’anglais par Yves jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers